« Aller vers » et « Faire avec »
L'expérience de Tremplin
La majorité des usagers ne demandent pas à arrêter de consommer. Parce que pour certains, l’usage n’est pas (ou pas encore) un problème, parce que pour d’autres, malgré l’existence de conséquences négatives, il est source de satisfaction, les professionnels adaptent leur intervention : « Aller vers » plutôt que d’attendre la demande et « faire avec » plutôt que de penser ce qui est bon pour ce qu’on croit voir de l’autre.
Que ce soit dans une démarche de prévention, de réduction des risques ou d’accès aux soins, les professionnels de Tremplin ont choisi d’aller au-devant des usagers, à leur rencontre, en milieu festif, dans la rue, au sein des établissements scolaires etc.
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Penser la proximité
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Se déplacer là où l’autre est, sur son territoire, dans son espace de socialisation constitue une première dimension de l’intervention. Mais autant que de réduire la distance géographique, se rendre accessible implique de changer son positionnement professionnel, son regard posé sur l’autre. Ainsi, la deuxième dimension de l’intervention s’inscrit dans une manière de penser la proximité, telle que l’a décrit Pierre Roche[1], en réduisant la « distance sociale et subjective ». Cela implique de se risquer à rencontrer l’autre autrement que dans une relation institutionnelle classique et d’inventer au cas par cas des façons d’entrer en lien qui estompent les barrières tout en maintenant chacun à sa place.
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« Aller vers » institue d’emblée un autre rapport que celui habituellement à l’œuvre entre soignant et soigné puisque c’est le professionnel qui est en demande et non l’inverse. Ainsi, la pluralité des situations et des conduites individuelles, la diversité des modes de rapport au risque implique que les professionnels soient dans un principe de collaboration, reconnaissant à chacun sa capacité d’agir, ses possibilités d’autocontrôle et son aptitude au changement, plutôt que dans une approche de transmission d’un savoir.
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Depuis quelques années, l’équipe de Tremplin2prev’ construit ses actions de prévention à partir de cette éthique d’intervention. Elle est basée sur des principes tels que le non jugement, le respect des choix de la personne, la reconnaissance du savoir de l’usager et de son expérience. Déployée à partir d’un stand ou dans le cadre d’un travail de rue, l’action consiste à être présent régulièrement dans les mêmes lieux sur des temps donnés afin d’être identifié comme ressource sur les conduites à risques, pour les jeunes et les professionnels (équipes éducatives, mais aussi, patrons de bars, agents de sécurité etc.).
Les jeunes repèrent les intervenants, qu’ils croisent à différents endroits de manière plus ou moins formelle, au lycée dans la journée et en discothèque en soirée par exemple. Ce mode d’intervention itératif semble correspondre à la dynamique dans laquelle s’inscrive la plupart des jeunes qui est de « butiner », « picorer » dans ce qui leur est proposé plutôt que de s’investir au long court dans un accompagnement.
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L'implication de pairs volontaires dans les actions de prévention
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Cependant, se rapprocher physiquement n’est pas une condition suffisante pour que la rencontre ait lieu. Les jeunes ont souvent des représentations qui font obstacle et qu’il va s’agir de déconstruire. Habitués à des discours parfois moralisateurs, les jeunes restent à distance où interpellent les professionnels de manière provocatrice. L’équipe a donc pensé différentes « stratégies » qui facilitent la mise en lien.
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Tout d’abord, l’implication de pairs volontaires dans les actions de prévention et de réduction des risques permet de dépasser la méfiance du premier contact. Véritables acteurs relais, « passeurs » d’informations, les pairs sont ceux grâce à qui les échanges avec les professionnels vont avoir lieu.
Par ailleurs, la mise à disposition de supports ludiques et attractifs tels que la chicha, les lunettes d’alcoolémie, l’échelle du son constitue une réelle plus-value pour amorcer une discussion avec les jeunes. Adaptés à chaque évènement et public, les outils sont régulièrement renouvelés et co-construits avec les jeunes eux-mêmes.
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Auprès des personnes en grande précarité
Peu enclin à fréquenter les institutions, les personnes exclues invitent les intervenants à inventer des interstices, entre « dedans » et « dehors » où va pouvoir se tisser petit à petit un lien de confiance. Depuis quelques années, Tremplin assure une permanence au pôle humanitaire d’Aix-en-Provence où sont accueillies par différents partenaires (SAO, Médecin du Monde, ADDAP13, ) les personnes sans domicile fixe.
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Rapidement, les professionnels ont fait le constat de la nécessité de modifier les modalités de présence initialement prévues. Il s’est agi de se déplacer à l’extérieur, devant les locaux, au plus près du public pour amorcer un contact et petit à petit établir un lien : « prendre soin » d’abord en écoutant, en discutant, en conseillant puis dans un deuxième temps, en proposant de l’aide. L’investissement de ces espaces informels suppose du temps et une prise de risque de la part de l’intervenant qui doit à la fois se rendre « hyperaccessible » auprès du public et dans le même temps ne pas s’éloigner de son identité et de sa place de professionnel.
Auprès des partenaires
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« Aller vers » c’est aussi se rapprocher des autres acteurs d’un territoire pour qui Tremplin peut constituer une ressource sur les questions des addictions. Travailler sur les complémentarités possibles, venir en soutien de situations qui nécessitent une compétence spécifique en addictologie, privilégier des regards croisés, favorise l’instauration d’un environnement favorable pour les usagers. Que ce soit en prévention ou dans le cadre du soin, la mutualisation des compétences des différents partenaires permet de co-construire des réponses au plus près des besoins des personnes.
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[1] Pierre Roche, sociologue au CEREQ (Centre d’études et de recherches sur les qualifications)